Amat (Aimé) de Sens (*)
Saint Amat, vulgairement appelé saint Aimé et quelquefois saint Amé, était d’une famille riche et pieuse. Le bon naturel, les vertus insignes qu’il fit paraître dans son enfance, furent cause qu’on l’admit bientôt au nombre des clercs, et que, dans la suite, il fut élevé à tous les degrés de l’Eglise, jusqu’à l’ordre sacré du sacerdoce.
Sa piété jetant de jour en jour des rayons plus éclatants, à mesure qu’il montait plus haut, le clergé et le peuple de Sens le voulurent avoir pour pasteur. Il résista autant qu’il put à ce choix; mais il fut contraint, par les évêques de la province, de se soumettre en cela à la volonté de Dieu. Il s’acquitta parfaitement de tous les devoirs d’une charge si importante car, outre qu’il donnait, dans sa conduite particulière, l’exemple de toutes sortes de vertus, il veillait assidûment sur son peuple, le nourrissait de la parole de Dieu, le reprenait de ses excès, lui administrait les sacrements, visitait les malades, consolait les affligés, secourait les pauvres dans leurs nécessités, et faisait toutes les autres choses que l’on pouvait attendre d’un très-saint prélat.
Cette vie le rendait si terrible aux démons, qu’ils ne pouvaient supporter sa présence et qu’ils n’osaient même approcher de lui pour le tenter. Cependant ce n’était pas par l’action, mais par les souffrances, que Dieu avait résolu de consommer sa sainteté. Il permit donc que Thierry, fils de Clovis II, et petit-fils de Dagobert 1er, qui était alors roi de France, reçut fort légèrement une fausse accusation contre lui, et l’envoyât en exil à Péronne, au monastère de Saint-Fursy (cf. 16 janv.). Il ne sortit point de Sens avec tristesse, mais avec joie. Il bénit son peuple, le recommanda à Dieu, et s’en alla plus content au lieu de son bannissement, que s’il eût été prendre possession d’un royaume.
Saint Ultan (cf. 1er mai), abbé du monastère de Saint-Fursy, ressentit pour son vénérable captif une affection filiale, et chercha, par tous les moyens, à lui adoucir les peines de l’exil. Saint Amat se privait de tout ce qui pouvait flatter son corps et soulager la nature; il s’entoura même les reins d’une grosse chaîne de fer pointue, qui lui causait une douleur continuelle.
Après la mort de saint Ultan, le roi changea le lieu de son exil, ordonnant à saint Mauront (cf. 21 oct.), fils de saint Adalbaud (cf. 2 fév.) et de sainte Rictrude (cf. 12 mai), de l’emmener avec lui en Flandre, pour le placer dans son monastère de Breuil. Un grand miracle, que Dieu fit à Cambrai en sa faveur, fit connaître à saint Mauront l’excellence de son mérite et de sa sainteté. Comme notre Saint voulut se débarrasser, dans l’église de la Sainte-Vierge, de l’habit monastique qu’il portait sur ses habits ordinaires, l’ayant mis sur un rayon de soleil qui passait par une vitre, dans la pensée que c’était une barre capable de le soutenir, l’habit demeura suspendu en l’air sans nul autre appui que ce rayon. Saint Mauront, voyant ce prodige, semblable à celui que nous avons rapporté dans la vie de saint Goar (cf. 6 juil.), se jeta à ses pieds et le pria de lui pardonner de ce qu’il l’avait pris sous sa garde. Ensuite, après l’avoir retenu avec lui au monastère de Hamage, près de Marchiennes, il le supplia de vouloir bien prendre la conduite de l’abbaye de Breuil, sur les bords de la Lys, qu’il avait fondée sur ses terres. Le saint évêque ne lui refusa pas cette grâce, mais, comme son âme ne vivait plus que de la contemplation des choses célestes, il se fit auprès de l’église de cette abbaye une petite cellule, où il passait la plus grande partie du temps en oraison. Il était tellement mort au monde, qu’il était sur la terre comme s’il n’y eût plus été; son esprit et son cœur étaient perpétuellement dans le ciel.
Enfin, il plut à Dieu de le récompenser de ses travaux et de ses souffrances, et Il lui envoya une mort paisible, qui fut pour lui le passage à l’éternité bienheureuse (vers 690). On lui trouva après sa mort, cette chaîne horrible dont il s’était tourmenté pendant sa vie, et elle servit à faire quantité de miracles. Le martyrologe romain et les Tables de l’Eglise de Sens parlent honorablement de cet excellent prélat, qui nous apprend à recevoir patiemment les afflictions que Dieu nous envoie, et à préférer la croix d’un long exil à la gloire des plus hautes prélatures.
Culte et Reliques:
Saint Aimé fut inhumé dans l’église de Saint-Pierre, à Merville, par les soins de saint Mauront, qui bâtit, quelques années après, avec la pieuse libéralité du roi Thierry, une église plus spacieuse, celle du monastère de Breuil ayant été trouvée trop petite. Ce fut saint Bain (cf. 20 juin), alors évêque de Thérouanne, qui leva de terre le corps de saint Aimé, et le déposa avec solennité dans cette nouvelle église dédiée à Notre-Dame. Cette translation eut lieu le 28 avril de l’an 697.
Le culte de saint Aimé remonte donc, comme on le voit, à l’époque de sa mort, et son corps resta dans l’église de Saint-Pierre, puis dans celle de Notre-Dame, au monastère de Breuil, jusqu’en 870. Cette année, les invasions des Normands forcèrent les religieux de se réfugier avec leur précieux dépôt dans le castrum de Douai, muni de fortes murailles. Quelques années après, les religieux, pour sauver les reliques de la fureur des Normands, furent obligés de se réfugier à Soissons, où ils restèrent jusqu’en 896. C’est alors qu’ils revinrent dans leur église de Douai, où les restes précieux de saint Aimé furent accueillis avec la joie la plus vive.
En 1078, Gérard Ier, évêque de Cambrai et d’Arras, les plaça dans une nouvelle châsse qui fut déposée dans une crypte sous le maître-autel et y resta jusqu’en 1206, époque à laquelle on les mit dans une autre châsse. L’anniversaire de cette translation fut dans la suite célébré avec solennité, non seulement à Douai, mais encore dans beaucoup d’églises auxquelles on avait accordé des parcelles du corps de saint Aimé. Outre celles d’Arras, qui obtint un de ses bras, on cite encore les églises de Châlons, Tournai, Saint-Pierre de Douai, Lens, Lille, Harlebeck, Soignies, Marchiennes, Anchin, Saint-Amand, Cysoing, Saint-Martin près de Tournai, et Hénin-Liétard.
Dans le Propre de l’insigne église collégiale de Saint-Aimé, à Douai, on trouve trois fêtes consacrées à ce saint évêque: la première, le 28 avril, rappelle le jour où son corps fut levé de terre par saint Bain, évêque de Thérouanne; la seconde, le 13 septembre, l’anniversaire de son bienheureux trépas; et la troisième, le 19 octobre, la translation de ses reliques de Merville à Douai. Bien que cette célèbre collégiale ait été renversée pendant la Révolution, son souvenir n’en est pas moins cher aux habitants de Douai, qui conservent toujours leur religieuse vénération pour le nom de saint Aimé. Les habitants de Merville et des lieux voisins ont aussi gardé dans le cœur la mémoire des vertus, des prédications et des œuvres de cet illustre protecteur. Chaque année sa fête y est célébrée avec solennité. Une chapelle est érigée sous son vocable et celui de saint Mauront, à quelque distance de la ville, sur la route du Vieux-Berquin. Le 13 septembre, jour de la fête du saint patron, commence une neuvaine pendant laquelle on dit la messe dans ce petit oratoire, en présence d’une multitude de fidèles. Il y a aussi, dans le hameau du Sars, près de Merville, une petite chapelle qui possède une relique de saint Aimé. Ce saint est encore honoré d’une manière spéciale à Herlies, paroisse du canton de La Bassée, dont il est le patron.
Acta Sanctorum ; Surius ; Vies des saints des diocèses de Cambrai et d’Arras, par M. l’abbé Destombes.
* Les uns le font archevêque de Sens (Senonensis) : les autres de Sion, en Valais (Sedunensis). Le diocèse de Sens le reconnut pour son évêque ; son office fait partie du Propre Sénonais depuis le retour à la liturgie romaine.
Tiré de : Les Petits Bollandistes ; Vies des saints, tome 11
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